Les centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis (Centers for Disease Control and Prevention) viennent d’annoncer qu’ils menaient une enquête sur une épidémie de lésions pulmonaires associées au vapotage (un syndrome nommé EVALI pour « e-cigarette, or vaping, product use associated lung injury ») signalée dans de nombreux États. En février 2020, le CDC comptabilisait plus de 2807 cas d’hospitalisation ou de décès pour les États-Unis, le district de Columbia et deux territoires américains (Porto Rico et les îles vierges). 68 décès ont été enregistrés dans 29 états et le district de Columbia.1 La sécurité des dispositifs électroniques d’administration de nicotine (ENDS pour « Electronic nicotine delivery systems »), ou cigarettes électroniques, doit dès lors à nouveau être passée au crible.
Les ENDS sont censés réduire le risque de maladies liées au tabagisme, l’OMS a toutefois alerté contre les dangers du vapotage au début de 2019.2 Commençons par faire le point au lieu de tirer des conclusions hâtives. Le centre de recherche britannique de lutte contre le cancer (Cancer Research UK) et Public Health England, l’agence responsable des politiques de santé publique pour l’Angleterre, soutiennent tous deux que le vapotage est moins nocif que le tabac. Des milliers de fumeurs ont utilisé des ENDS pour arrêter de fumer.3 Ont-ils tous tort ?
Bien que la pathologie associée au vapotage, à l’origine de lésions pulmonaires, soit inconnue, nous savons avec certitude que les poumons ne sont pas faits pour accueillir autre chose que de l’air. L’exposition professionnelle et environnementale aux composés toxiques inhalés est connue pour causer des lésions pulmonaires. Dans certains exemples extrêmes, l’exposition à un facteur unique a suffi à faire apparaître des troubles respiratoires durables.4, 5 En revanche, les fumeurs et les vapoteurs inondent continuellement leurs poumons de substances non adaptées aux structures délicates que sont les poumons.
Des résultats publiés en 2018 ont établi un lien entre l’exposition à la vapeur des ENDS et le cancer chez la souris.6 Indépendamment du déclenchement précis de la réponse inflammatoire, les utilisateurs d’ENDS n’imaginent peut-être pas une seconde que ces dispositifs puissent générer un cancer. Il est également prouvé que les e-liquides peuvent contenir des composés potentiellement toxiques, en plus de la nicotine.7, 8
L’OMS propose qu’un avertissement figure sur les ENDS, signalant qu’ils sont susceptibles de provoquer des problèmes de santé cardiorespiratoire, en partie en raison de la diversité des produits utilisés. Aujourd’hui, toutes les grandes entreprises de tabac vendent des ENDS ; or le choix est très vaste et de nombreux consommateurs privilégient les e-liquides d’origine et de contenu incertains. Parmi les personnes touchées par l’épidémie aux États-Unis, près de 80 % ont déclaré avoir vapoté de la nicotine en utilisant des produits à base de tétrahydrocannabinol (THC) ou de cannabidiol (CBD) ; l’existence d’un lien éventuel doit dès lors être examinée. Aucune épidémie similaire n’a encore été signalée, ce qui pourrait s’expliquer par les différences de réglementation.9
Pour une simple question de principe d’évaluation des risques, l’inhalation de substances potentiellement toxiques pour les poumons doit être contre-indiquée. Les poumons sont des organes complexes destinés à favoriser les échanges entre la fonction cardio-pulmonaire pure et la fonction systémique. Ce que nous respirons, qu’il s’agisse de substances toxiques ou thérapeutiques, affecte globalement notre organisme et notre santé. Pourtant, en tant qu’alternative aux méfaits connus de l’inhalation de la fumée de tabac, les ENDS présentent probablement un moindre mal. Étant donné que l’on estime qu’un fumeur de cigarettes sur deux meurt des suites directes de son habitude, toute forme de réduction des risques est la bienvenue.
Les pics de pollution atmosphérique représentent des risques significatifs à court terme pour la santé, en particulier les oxydes d’azote toxiques émis par les moteurs diesel. Le besoin urgent de réduire l’exposition aux particules de diesel a entraîné un revirement spectaculaire des politiques de transport dans le monde entier.10 Si la recherche n’a jusqu’à présent pas démontré que les cigarettes électroniques présentaient des risques à court terme aussi conséquents pour la santé ; il n’en demeure pas moins important de savoir distinguer les différentes catégories de consommateurs de cigarettes électroniques.
L’utilisation concomitante généralisée des ENDS chez les fumeurs de cigarettes est une source de préoccupation pour les assureurs qui cherchent à différencier les fumeurs des non-fumeurs.11 Peu de non-fumeurs se préoccupent des cigarettes électroniques, mais le double usage compromet tout bénéfice pour la santé et n’est pas nécessairement associé à une exposition moindre aux risques pour la santé liés au tabac.12 Si les ENDS se sont révélés moins nocifs jusqu’à présent, ils n’en sont pas pour autant inoffensifs, et l’épidémie émergente d’EVALI soulève des questions qui jettent de sérieux doutes quant à leur sécurité à long terme.
Notes de bas de page
- https://www.cdc.gov/tobacco/basic_information/e-cigarettes/severe-lung-disease.html.
- WHO Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019.
- http://www.smokinginengland.info.
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6427469.
- https://www.bbc.co.uk/news/business-50074402.
- https://doi.org/10.1073/pnas.1718185115.
- Lee M.S., et al., Nicotine, aerosol particles, carbonyls and volatile organic compounds in tobacco- and menthol-flavored e-cigarettes. EnvironHealth 2017; 16: 42.
- Lee M.S., et al., Endotoxin and (1→3)-β-Dglucan contamination in electronic cigarette products sold in the United States. Environ Health Perspect 2019; 127: 47008.
- https://ec.europa.eu/health//sites/health/files/tobacco/docs/dir_201440_en.pdf.
- https://www.who.int/airpollution/en.
- https://tobaccocontrol.bmj.com/content/28/1/13.
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6059385.